Réinvestir les friches pour lutter contre l’artificialisation du territoire
Au cœur des propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat, la réhabilitation des friches semble être le combat de 2021 pour de nombreux élus locaux. Les ambitions d’un tel chantier ? Réinjecter de nouvelles activités économiques et revitaliser des centres-villes urbains en perte de dynamisme, tout en réduisant l’étalement urbain. Derrière ces nobles causes, qu’implique la réactivation d’une friche pour les collectivités ?
Le territoire français est aujourd’hui jonché de friches qui, au fil des années, se détériorent. Symboles d’un passé industriel actif, elles sont la résultante d’une désindustrialisation forcée, laissant de ce fait de nombreux sites sans activités, aux sols fortement pollués. Des friches militaires, hospitalières, industrielles ou encore ferroviaires dessinent aujourd’hui le paysage des campagnes et villes françaises.
Petites, moyennes et grandes villes se retrouvent parfois démunies face à d’importantes surfaces polluées, inactives depuis plusieurs décennies, situées en cœur urbain ou en périphérie. Alors que de nouvelles lignes directrices pour l’aménagement du territoire se sont données le but de limiter au maximum l’artificialisation des sols, ces friches sont donc des opportunités foncières stratégiques pour les collectivités.
Quels sont les potentiels du recyclage des friches ?
Reconvertir une friche participe, dans un premier temps, à la protection de l’environnement et de la santé des citoyens habitant à proximité : après des années d’exploitation, notamment industrielle, les friches sont souvent des lieux extrêmement pollués. Mi 2018, la base de données de l’Etat BASOL recensait 6 800 sites et sols pollués ou potentiellement pollués sur l’ensemble du territoire français. Une pollution qui impacte aussi bien l’environnement que l’homme, et constitue dès lors une question d’intérêt public.
Dans un deuxième temps, en écho avec les politiques d’aménagement de ces dernières années, la reconversion des friches s’ancre dans l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) défini en 2018 par la Loi sur la biodiversité. Alors que chaque année, et ce depuis de nombreuses décennies, le territoire français se bétonnise de plus en plus, l’objectif ZAN tente de renverser la tendance en fixant des enjeux de densification des environnements construits et de reconversion des espaces vacants. Le recyclage des friches s’inscrit parfaitement dans cette logique en permettant le contrôle de l’épineuse question de l’étalement urbain.
Enfin, les friches sont un véritable terrain de jeu et d’expérimentation pour l’injection de nouveaux usages dans un territoire : elles offrent des surfaces foncières souvent généreuses, des caractéristiques architecturales et esthétiques intéressantes pour être porteuses de projets urbains stimulants et novateurs. Un enjeu de taille pour des territoires marqués par un déclin industriel, et qui continuent de subir aujourd’hui une perte d’attractivité. Ces friches peuvent alors devenir le symbole d’une renaissance à l’échelle d’une ville, provoquant la transformation d’un quartier avec l’installation de nouvelles activités économiques, de nouveaux usages et de fait de nouveaux habitants.
Pourtant, le recyclage de friches, notamment industrielles, fait encore peur à de nombreuses collectivités. Le coût de la dépollution de ces espaces provoque dans de nombreux cas la hausse de 25% du prix du foncier final. Une tendance qui décourage certains élus. Une crainte renforcée par le manque de retours d’expérience à l’échelle nationale disponible sur les montages financiers et logistiques qu’implique la transformation d’anciens sites industriels lourds. Promouvoir des outils financiers, collectifs et collaboratifs
Néanmoins, il semblerait que le recyclage des friches du territoire soit l’un des principaux objectifs des prochaines années. Supporté par des politiques étatiques, avec notamment la création d’un fond de 300 millions d’euros dédié à la reconversion d’anciens sites en friche annoncé lors du Plan de Relance 2020-2022, mais aussi soutenu par la Convention Citoyenne pour le Climat, la question de la réhabilitation des friches est au cœur des problématiques d’aménagement actuelles.
En plus des soutiens financiers, les acteurs de la filière dédiée au recyclage des friches se sont mobilisés pour la construction de structures et d’outils d’accompagnement à destination des porteurs de projet. Précurseur en la matière, la région Auvergne Rhône-Alpes, accueillant 18% des sites pollués du territoire (Basol 2018), s’est mobilisée dès 2015 dans la constitution d’un dispositif spécialisé : ID friches. Le programme propose des accompagnements sur-mesure pour la mise en place de projet de recyclage, mais aussi des fiches techniques sur des reconversions pilotes dans la région, ainsi qu’un annuaire de l’ensemble des acteurs engagés dans les projets.
Plus récemment, deux autres plateformes sont en cours de mise en place. La première, créée par le Cerema Cartofriches, est une plateforme de recensement de l’ensemble des friches du territoire français. Son objectif est de promouvoir et faciliter la réutilisation des friches par les collectivités locales. La deuxième, Benefriches, cette fois-ci portée par l’ADEME, est un outil permettant de quantifier les bénéfices socio-économiques et environnementaux dans le but d’orienter les collectivités dans leurs choix stratégiques d’aménagement, notamment via la simulation de différents scénarios d’usages pour la requalification d’une friche.
Ces outils viendront peu à peu se consolider pour devenir de véritables soutiens aux collectivités afin de les aiguiller au mieux, à la fois d’un point de vue technique, mais aussi dans le but de montrer le champ des possibles. L’enjeu étant de voir apparaître de réelles stratégies de réactivation de ces lieux clés de nos villes.
À chaque friche, le potentiel d’un nouvel usage
Au-delà de la volonté de reconversion d’un site en friche, il est parfois difficile pour les collectivités de se projeter dans le choix des futurs usages qui viendront s’y déployer. Car plus qu’un besoin environnemental, le recyclage des friches peut devenir également l’occasion de promouvoir pour la commune un nouveau pôle d’attractivité.
C’est le pari qu’ont fait plusieurs communes. Elles ont choisi de faire de leur projet de requalification de véritables espaces d’expérimentation urbaine, en faveur de l’émergence et le développement de nouveaux usages à travers l’économie, l’artisanat, la culture, l’habitat, les loisirs ou encore la renaturation.
À Saint-Martin-de-Valamas, en Ardèche, c’est le savoir-faire local qui a été remis au goût du jour. L’ancienne usine Murat, première usine de la filière bijoux ouverte en 1868 dans les Boutières en Ardèche, est laissée à l’abandon en 2015. La communauté de communes du Val’Eyrieux a choisi de valoriser son histoire en venant réhabiliter l’ancienne usine en Atelier du bijou. Aujourd’hui, ce nouveau lieu est un musée qui accueille des visiteurs pour leur faire découvrir l’univers et le savoir-faire local en bijouterie, mais aussi une pépinière accueillant des artisans créateurs. Une reconversion de friche réussie, assurant une nouvelle attractivité touristique et artisanale pour le Val’Eyrieux.
À Annemasse, en Haute-Savoie, la reconversion de l’ancienne friche hospitalière et ferroviaire de l’Étoile a été l’occasion d’une requalification lourde de l’ensemble d’un quartier de la ville. Ce sont, en tout, 19 hectares qui sont en train d’être réhabilités en un seul Éco Quartier, structuré autour de la gare de la ville. À terme, le quartier de l’Étoile sera un nouveau pôle d’attractivité, avec la création de 1500 logements supplémentaires, la constitution d’un pôle multimodal et l’accueil d’activités économiques. Une réhabilitation lourde qui permet d’engendrer de nouvelles dynamiques à l’échelle urbaine.
Enfin, à Sevran en région parisienne, c’est un tout autre choix qui a été fait. L’ancienne usine Kodak ferme ses portes en 1990, après 75 ans d’exploitation, causant la disparition de nombreux emplois et laissant un site pollué de 14 hectares sans activité. Après d’importants travaux de dépollution qui ont duré 8 ans, s’est posée la question de l’avenir du site. C’est finalement le choix de la renaturation qui a été fait. L’ancienne friche est rentrée dans le Programme Nature 2050 de la Caisse des Dépôts, visant à favoriser la réintégration et le maintien de la biodiversité. Aujourd’hui, le site est un vaste parc ouvert sur la ville, proposant aux habitants un espace de biodiversité et de loisirs.
La reconversion des friches est donc l’occasion de promouvoir de nouvelles dynamiques pour une collectivité : renaturation, culture, artisanat ou encore habitat, les nouveaux usages impulsés peuvent être multiples. Participer à la densification des tissus urbains bâtis par la requalification des friches, c’est également limiter la bétonisation d’espaces aujourd’hui encore naturels. Des enjeux qui sont plus que jamais sur le devant de la scène.